Le projet « FrontAfrique » : frontières en Afrique
Les discours portant sur les frontières africaines ont longtemps été marqués par un parti pris de principe : celles-ci devaient être dénoncées comme étant des stigmates de la domination coloniale. Ce parti pris s’est focalisé autour de trois grands axes critiques. Les frontières furent d’abord considérées comme artificielles, produits d’importations imposés sans réflexion et sans logique, au mépris des structures humaines et géographiques existantes. La gestion coloniale fut ensuite montrée du doigt pour son aspect coercitif. Enfin, ce furent les conséquences du découpage qui ont été dénoncées : les frontières ont été considérées comme génératrices d’effets négatifs multiples ; elles auraient empêché le développement et seraient à l’origine de migrations, de déséquilibres de population et même de conflits. Ce raisonnement, développé par des géographes, des anthropologues et des historiens, a longtemps été considéré comme le seul valide, et toute réflexion sur les frontières africaines ne s’y conformant pas était suspect de vouloir réhabiliter la colonisation. Dans sa partie concernant les frontières africaines, l’ouvrage de Michel Foucher Fronts, frontières un tour du monde géopolitique, publié en 1988, remit en cause cette théorie et introduisit un questionnement et un argumentaire fondamentalement nouveaux. Si certaines recherches anglo-saxonnes avaient dès les années 1970 affirmé la nécessité de penser les frontières africaines autrement, la recherche française, quant à elle, a très peu exploré ces nouvelles pistes. Quelques travaux pionniers, majoritairement consacrés à des études de cas et recherchant la profondeur historique, ont cependant démontré la possibilité de penser les frontières africaines en dehors de ces schémas préétablis.
La nécessité de renouveler un questionnement jusque là basé sur un postulat, l’abondance des matériaux, la convergence d’intérêt de chercheurs d’horizons divers, ainsi que la prégnance de la question de l’Etat en Afrique, plaident pour la nécessité d’engager une réflexion scientifique de grande ampleur sur la question des frontières africaines. Cette réflexion se doit d’être à la fois pluridisciplinaire, systématique et critique. L’objectif est d’étudier au cas par cas le processus d’élaboration de chacune des frontières, afin de fournir des éléments pouvant nourrir la réflexion sur l’Etat en Afrique, mais aussi d’étudier ces frontières à travers les dynamiques qu’elles produisent (migrations, mobilité, gestion territoriale, décentralisation, relations entre Etat et identités, questions de conflits…) Ces analyses doivent permettre de produire une cartographie nouvelle du lien entre politique et territoire en Afrique : en premier lieu une cartographie historique des formes prises par les limites politiques en Afrique avant la colonisation, ensuite une cartographie de la construction et de l’évolution des tracés frontaliers pendant la domination coloniale, enfin un état des lieux des frontières africaines actuelles, mettant en valeur les conflits, leurs résolutions, les renégociations frontalières, les délimitations et les frontières litigieuses.
A partir d’un corpus diversifié et largement inédit, comprenant des documents d’archives (militaires, civils, diplomatiques…), des productions scientifiques, des récits d’explorateurs, des récits de voyages, des cartes, des atlas, des revues savantes, des guides touristiques, des manuels scolaires, ainsi qu’à travers des travaux de terrain et le recueil de sources orales, nous souhaitons analyser ces espaces au-delà des simples traités de délimitation. Il s’agit de comprendre les frontières dans une profondeur conceptuelle qui doit permettre de les considérer comme des espaces à part entière, sujets de représentation, de discours, créateurs d’identité et révélateurs de pouvoir et de souveraineté. La méthodologie de recherche est ainsi marquée par la volonté d’étudier ces frontières dans une grande amplitude temporelle, en recherchant la profondeur historique, c’est-à-dire en interrogeant le très contemporain et le passé lointain ; l’objectif de ce travail d’équipe étant aussi de réfléchir à l’articulation de ces différentes temporalités, de penser les différents moments de l’histoire de ces frontières les uns par rapport aux autres.
Plusieurs étapes dans la recherche et sa valorisation sont prévues : dépouillement du corpus, présentation de dossiers lors d’un séminaire interne autour des problématiques communes ; inscription nécessaire de ce projet dans le cadre des enseignements et de la formation, en encourageant et en finançant les travaux d’étudiants de master et de thèse sur la question des frontières. Ces études ne peuvent qu’être internationales, la vision et les travaux de chercheurs étrangers, particulièrement africains, étant indispensables au croisement des regards et des mythes. Les invitations au séminaire de ces chercheurs étrangers permettront de confronter les avancées scientifiques et problématiques, dans le but d’une journée d’études commune, puis d’un colloque international. Ce travail d’équipe doit permettre enfin la publication d’articles et d’ouvrages scientifiques, mais aussi, à travers les enseignements et la réalisation d’atlas et d’ouvrages accessibles à un large public, la vulgarisation de nos recherches et de nos problématiques.